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Il pleut, il pleut, bergère ;
Ramène tes moutons.


Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre avaient mis à la mode le culte de la campagne, seule religion de ces âmes sensibles.

Toutes les chroniques nous vantent les succès mondains de Jacques Delille et son charme de séduction.

Bernardin de Saint-Pierre, dans une lettre à sa femme (Correspondance), raconte que l’abbé Delille est venu s’asseoir près de lui à l’institut. « Je l’ai trouvé si aimable et si amoureux de la campagne ; il m’a fait des compliments qui m’ont fait tant de plaisir que je lui ai offert de venir à Gragny. »

Mme Le Couteulx du Moley, chez qui il passait une partie de sa vie, à la Malmaison, a tracé de lui un portrait des plus piquants, que nous a conservé Grimm dans sa Correspondance (mai 1782, t. XI, page 109) : « Rien ne se peut comparer aux grâces de son esprit, ni à son feu, ni à sa gaieté, ni à ses saillies, ni à ses contrastes… Sa figure… une petite fille disait qu’elle était toute en zigzag… elle est vraiment laide, mais bien plus curieuse, je dirai même intéressante. Il a une grande bouche ; mais il dit de si beaux vers. Ses yeux sont un peu gris, un peu enfoncés ; mais il en fait ce qu’il veut, et la mobilité de ses traits donne si rapidement à sa physionomie un air de sentiment, de noblesse et de folie, qu’elle ne lui laisse pas le temps de paraître laide. »

C’est un peu l’impression qu’il avait produite sur Chateaubriand : « Qui n’a entendu l’abbé Delille lire ses vers ? écrit-il dans ses Mémoires d’outre-tombe. Il racontait très bien sa figure laide, chiffonnée, animée par son imagination, allait à merveille à la nature coquette de son débit, au caractère de son talent et à sa profession d’abbé. Le chef-d’œuvre de l’abbé Delille est sa traduction des Géorgiques, aux morceaux de sentiment près ; mais c’est comme si vous lisiez Racine traduit dans la langue de Louis XV. La littérature du XVIIIe siècle, à part quelques beaux génies qui le dominent, sans manquer de naturel, manque de nature. L’abbé Delille était le poète des châteaux modernes, de même que le troubadour était le poète des vieux châteaux. »