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voyant tomber s’écrie : « Sale mouquière ! Elle est saoule d’absinthe !… »

Réïra n’entend pas, la peau qui est son sein est sortie de la bouche ouverte de son fils ! Va-t-elle le laisser mourir ?…

En titubant toujours, elle arrive à la ville, une route sur les deux côtés de laquelle s’alignent quelques maisons ; elle s’y traîne, offrant à tous Ali expirant : « Joli petit, gémit-elle… achète… faim… achète joli petit… manger… Joli petit Ali… achète…

On s’attroupe autour d’elle. L’administrateur, le même qui a acheté cent sous les deux plus jolies vaches du douar de Reïra, survient criant, menaçant : « Quoi c’est cette pouilleuse qui suscite ce désordre ? …

« Ramassez-moi ça !… » commande-t-il au garde-champêtre qui cumule l’office de geôlier.

Réïra, épuisée par son suprême effort maternel, s’affaisse, son enfant s’échappe de ses bras, tombe sur la chaussée. En le ramassant, une femme à la poitrine, opulente s’écrie : « Quel beau petit bicot ! » Elle lui fourre la tête dans son corsage, il est sauvé !

On porte Réïra, évanouie, à la prison ; des gamins et des badauds suivent en « gueulant » : Eh l’ivrognesse !… l’ivrognesse !… La cruauté humaine est de tous les pays.