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MISERES.

Une nef sans pouvoir luy aider au besoing,
Quand la mer l’engloutit, et pourriez de la rive,
En tournant vers le ciel la face demi-vive,
Plaindre sans secourir ce mal oisivement.
Mais quand, dedans la mer, la mer pareillement
Vous menace de mort, courez à la tempeste :
Car avec le vaisseau vostre ruine est preste.
La France donc encor est pareille au vaisseau
Qui, outragé des vents, des rochers et de l’eau.
Loge deux ennemis : l’un tient avec sa troupe
La proue, et l’autre a pris sa retraitte à la pouppe.
De canons et de feux chacun met en esclats
La moitié qui s’oppose, et font verser en bas,
L’un et l’autre enyvré des eaux et de l’envie,
Ensemble le navire et la charge et la vie.
En cela le vainqueur ne demeurant plus fort
Que de voir son haineux le premier à la mort,
Qu’il seconde, authochyre, aussy tost de la sienne,
Vainqueur, comme l’on peut vaincre à la cadmeene.
Barbares en effect, François de nom, François,
Vos fausses loix ont eu des faux et jeunes roys,
Impuissants sur leurs cœurs, cruels en leur puissance;
Rebelles, ils ont veu la désobéissance.
Dieu sur eux et par eux desploia son courroux.
N’ayant autres bourreaux de nous-mesmes que nous.
Les roys, qui sont du peuple et les roys et les pères,
Du troupeau domesticq sont les loups sanguinaires ;
Ils sont l’ire allumée et les verges de Dieu,
La crainte des vivants; ils succèdent au lieu
Des héritiers des morts; ravisseurs de pucelles,
Adultères, souillants les couches des plus belles
Des maris assommez, ou bannis pour leur bien.