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Vous voulustes, esprits, et le ciel et l’air fendre
Pour aux corps preparez du haut ciel descendre ;
Vous les cerchastes lors, ore ils vous cercheront,
Ces corps par vous aymez encor vous aimeront :
Vous vous fistes mortels pour voz pauvres femelles,
Elles s’en vont pour vous et par vous immortelles.
Mais quoy ! c’est trop chanter, il faut tourner les yeux,
Esblouis de rayons, dans le chemin des cieux :
C’est faict : Dieu vient reigner ; de toute prophetie
Se void la periode à ce poinct accomplie.
La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux
Naissent des enterrez les visages nouveaux :
Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Icy, les fondements des chasteaux rehaussez
Par les ressuscitans promptement sont percez ;
Icy, un arbre soit des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poictrine ;
Là, l’eau trouble bouillonne, et puis, s’esparpillant,
Sent en soy des cheveux et un chef s’esveillant.
Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autrefois deschirez
Se sont en un moment à leurs corps asserrez,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer escumeuse.
De l’Affricque bruslée en Tyle froiduleuse,
Les cendres des bruslez volent de toutes parts ;
Les brins, plus tost unis qu’ils ne furent espars,
Viennent à leur posteau en cette heureuse place,
Riants au ciel riant d’une aggreable audace.
Le curieux s’enquiert si le vieux et l’enfant
Tels qu’ils sont jouiront de l’estat triomphant,