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44 LES TRAGIQUES.

Ce bras que vous voyez près du lict, à costé;
J’ay au travers du corps deux balles de pistolle. »
Il suivit, en coupant d’un grand vent sa parolle :
« C’est peu de cas encor, et, de pitié de nous.
Ma femme en quelque lieu, grosse, est morte de coups.
Il y a quatre jours qu’aiants esté en fuitte,
Chassez à la minuict, sans qu’il nous fust licite
De sauver nos enfants, liez en leurs berceaux,
Leurs cris nous appelloient, et entre ces bourreaux,
Pensans les secourir, nous perdismes la vie.
Helas ! si vous avez encore quelque envie
De voir plus de malheur, vous verrez là-dedans
Le massacre piteux de nos petits enfants. »
J’entre, et n’en trouve qu’un, qui, lié dans sa couche.
Avait les yeux flestris; qui de sa pasle bouche
Poussoit et retirait cet esprit languissant
Qui, à regret son corps par la faim delaissant
Avait lassé sa voix bramant après sa vie.
Voicy après entrer l’horrible anatomie
De la mère assechée : elle avoit de dehors,
Sur ses reins dissipez traisné, roulé son corps,
Jambes et bras rompus; une amour maternelle
L’esmouvant pour autruy beaucoup plus que pour elle,
A tant elle approcha sa teste du berceau,
La releva dessus. Il ne sortait plus d’eau
De ses yeux consumez de ses playes mortelles
Le sang mouillait l’enfant; point de laict aux mammelles,
Mais des peaux sans humeur. Ce corps séché, retraict,
De la France qui meurt fut un autre pourtraict.
Elle cerchait des yeux deux de ses fils encore;
Nos fronts l’espouvantoient. Enfin la mort dévore
En mesme temps ces trois. J’eu peur que ces esprits