Page:Aubert de Gaspé - L'influence d'un livre, 1837.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91

lorsqu’un homme sortit, tout-à-coup, du bois qui entourait sa chaumière et lui frappa sur l’épaule. Le nouvel arrivé était d’une taille médiocre, mais assez bien proportionnée ; sa figure ouverte annonçait une assurance ferme en ses propres forces, son visage n’avait rien de repoussant, mais sa bouche était loin de l’embellir. Le dix-neuvième siècle est convenu d’appeler monstre tout ce qui est extraordinaire, et les écrivains de ce siècle fécond se servent toujours du mot type ; or cette bouche était une bouche monstre : le type de toutes les bouches monstres. Ceux qui en doutent peuvent en voir la dimension au Presbytère de St. Jean Port-Joli ; car moyennant un minot de pois, il a consenti à la laisser mesurer, au compas, et le rayon en est encore marqué sur la porte. Passons à ses qualités intellectuelles : il savait à peine lire : ce qui ne l’empêchait pas d’avoir la modestie de se croire un homme des plus scientifiques et de trancher toutes les questions qu’on lui présentait, sans difficulté. Amand seul, avait su lui en imposer ; parcequ’il savait des mots plus longs et plus difficiles à prononcer que lui. Notre héros s’était trouvé dans la nécessité de lui confier son secret ; car ne pouvant conduire une chaloupe, il lui fallait quelqu’un pour le traverser à la côte nord-ouest du fleuve. Il lui avait donc expliqué le but de son voyage à la capitale, et lui avait fait promettre de l’accompagner à son retour.

— Eh bien Amand, dit-il, en l’abordant, as-tu tout ce qu’il te faut ?