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vais vu passer, entra alors avec son chien et ils se placèrent vis-à-vis de la cheminée. Un reste de flamme qui y brillait s’éteignit aussitôt et je demeurai dans une obscurité parfaite.

Ce fut alors que je priai avec ardeur et fis vœu à la bonne Ste. Anne, que si elle me délivrait, j’irais de porte en porte, mendiant mon pain le reste de mes jours. Je fus distrait de ma prière par une lumière soudaine ; le spectre s’était tourné de mon côté, avait relevé son immense chapeau, et deux yeux énormes, brillants comme des flambeaux, éclairèrent cette scène d’horreur. Ce fut alors que je pus contempler cette figure satanique : un nez lui couvrait la lèvre supérieure, quoique son immense bouche s’étendît d’une oreille à l’autre, lesquelles oreilles lui tombaient sur les épaules comme celles d’un lévrier. Deux rangées de dents noires comme du fer et, sortant presque horizontalement de sa bouche, se choquaient avec un fracas horrible. Il porta son regard farouche de tous côtés et, s’avançant lentement, il promena sa main décharnée et armée de griffes, sur toute l’étendue du premier lit ; du premier lit il passa au second, et ainsi de suite jusqu’au onzième, où il s’arrêta quelque temps. Et moi, malheureux ! je calculais pendant ce temps-là, combien de lits me séparaient de sa griffe infernale. Je ne priais plus ; je n’en avais pas la force ; ma langue desséchée était collée à mon palais et les battemens de mon cœur, que la crainte me faisait supprimer, interrompaient seuls le silence qui régnait,