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le livre


Sonnet




Ceſſe les pleurs, mon liure : il n’eſt pas ordonné.
Du deſtin, que moy vif tu ſois riche de gloire :
Auant que l’homme paſſe outre la rive noire.
L’honneur de ſon trauail ne luy eſt point donné.

Quelqu’un apres mille ans de mes vers eſtonné
Voudra dedans mon Loir, comme en Permeffe, boire :
Et voyant mon pays, à peine pourra croire
Que d’un ſi petit lieu tel Poëte ſoit né.

Pren, mon liure, pren cœur : la vertu precieuſe
De l’homme, quand il vit, eſt touſiours odieuſe ;
Apres qu’il eſt abſent, chacun le penſe un Dieu.

La rancœur nuit toujours à ceux qui ſont en vie :
Sur les vertus d’vn mort elle n’a plus de lieu,
Et la poſterité rend l’honneur ſans envie.


Pierre de Ronſard.