Page:Asselineau - Le Livre des sonnets.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Molière accompagnait ſon ſonnet de ces réflexions : « Vous voyez bien, Monſieur, que je m’écarte fort du chemin qu’on ſuit d’ordinaire en pareille rencontre, que le Sonnet que je vous envoye n’eſt rien moins qu’une conſolation ; mais j’ay crû qu’il falloit en uſer de la ſorte avec vous, & que c’eſt conſoler un Philoſophe que de luy juſtifier ſes larmes, & de mettre ſa douleur en liberté. Si je n’ay pas trouvé d’aſſez fortes raiſons pour affranchir voſtre tendreſſe des ſeveres leçons de la Philoſophie, & pour vous obliger à pleurer ſans contrainte, il en faut accuſer le peu d’éloquence d’un homme qui ne ſçauroit perſuader ce qu’il ſçait ſi bien faire. »

Molière reproduiſit dans Pſyché (Acte II, Scène I, éd. 1671) les deux quatrains du ſonnet, en les modifiant ainfi :


LE ROY.


Ah ! ma Fille, à ces pleurs laiſſe mes yeux ouverts,
Mon deuil eſt raiſonnable, encor qu’il ſoit extrême,
Et lors que pour toujours on perd ce que je perds,
La Sageſſe, croy-moy, peut pleurer elle-meſme.
           En vain l’orgueil du Diadème
Veut qu’on ſoit inſenſible à ces cruels revers,
En vain de la Raiſon les ſecours ſont offerts,
Pour vouloir d’un œil ſec voir mourir ce qu’on aime :
L’effort en eſt barbare aux yeux de l’Univers,
Et c’eſt brutalité plus que vertu ſuprême.


Sonnet 58.

Choix de poëſies morales & chrétiennes… Dédié à Monſeigneur le Duc d’Orléans… Paris, Chez Prault père & fils. 1759 (t. I, 1. iv).