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PENSÉE FRANÇAISE

vantant Molière, Racine et Veuillot devant des cercles de vieilles dames à moitié gâteuses, avec des grâces négligées et des airs entendus de vieux « cabotins » — ceux-là, n’hésitons pas à les qualifier, ce sont des traîtres. Il faut lutter pour vaincre. Il faut aussi lutter pour lutter : la race canadienne-française ne se sauvera que si elle comprend enfin que la lutte pour la justice, quelle qu’en doive être l’issue, a sa vertu propre, qui est d’ennoblir ceux qui s’y consacrent, en les faisant participer d’une spiritualité supérieure.

Mais nous du Québec, qui sommes censés donner le ton à la vie française en Amérique, pénétrons-nous bien de ceci, qu’un droit constitutionnel ne vaut guère que par le parti qu’on en sait tirer. Il ne nous suffit pas de faire maintenir l’enseignement du français à l’école, il nous faut encore imposer à nos compatriotes anglais sinon l’amour, au moins l’estime du français — et non seulement du français qu’ont écrit Molière, Racine et Veuillot, mais du français qui s’enseigne dans nos écoles, du français que nous parlons dans la famille, dans la rue, dans les bureaux, dans les parlements, sur la place publique. M. Hocken apprendrait à savourer Molière dans le texte, qu’il se pourrait encore que cela ne le rapprochât pas du tout des Canadiens français ; qu’au contraire cela servît à le confirmer dans la prévention, assurément très regrettable, qu’il n’y a rien de commun entre Molière et certains rédacteurs de La Presse.

Tout d’abord, posons en principe que jamais peuple de vie économique et politique inférieure n’eut le moindre prestige ni n’exerça la moindre influence intellectuelle hors de ses frontières. La Grèce de l’époque romaine ne fait exception à cette règle qu’en apparence : à Rome comme ailleurs, le rôle qu’elle avait joué sur la scène politique était encore présent à toutes les mémoires ; et elle avait gardé dans sa défaite une splendeur matérielle que