Page:Asselin - Pensée française, pages choisies, 1937.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
LE SOU DE LA PENSÉE FRANÇAISE

D’ailleurs, le danger de l’empoisonnement est-il si grand ? Si dans la littérature française contemporaine le poison n’est pas ménagé, est-il nécessaire d’ajouter que le contre-poison y surabonde ? Au lieu de chercher à fermer la porte aux œuvres littéraires françaises, afin d’empêcher les œuvres mauvaises de passer, ouvrons-la plutôt toute grande à ce qu’il y a d’admirable, de généreux, d’idéaliste, de fort, de grand, dans cette production éternelle du génie français dont il semble que Dieu ait voulu faire, dans l’ordre intellectuel, la continuation du génie grec, et dans l’ordre moral, le foyer principal de la pensée chrétienne et de tous les apostolats généreux.

Le croira-t-on ? un des reproches que l’on a faits à ce mouvement défensif de la langue, de la pensée française, ç’a été de s’être mis sous l’invocation de la Pensée française.

Il y a parmi nous toute une école qui croit que dans l’ordre intellectuel la langue peut vivre indépendamment de la pensée. C’est à ce groupe, peu nombreux mais influent, que nous devons de n’avoir pas encore une école normale supérieure dans un pays où l’enseignement secondaire, fondé il y a cent ans, compte aujourd’hui une vingtaine de maisons. C’est lui qui est responsable de la médiocrité presque générale de notre enseignement secondaire, encore plus à déplorer que les défauts de notre enseignement primaire, car, si on ne lui a pas préparé l’esprit à l’étude de tous les problèmes, l’élève de l’école secondaire — presque invariablement appelé chez nous à un rôle dirigeant — ne comprendra les besoins ni de l’enseignement primaire ni de l’enseignement supérieur.

Il en est d’autres qui, assez intelligents pour comprendre la relation du cerveau à la langue, ne veulent pas de la pensée française tout bonnement parce que c’est la pensée française. La pensée française ne les effraierait pas si elle venait d’Angleterre, d’Allemagne, de Russie, de Patagonie ; mais comme la pensée française doit, dans l’ordre