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LETTRE OUVERTE

d’un jury sensible, borné, qui prend son rôle au sérieux et qui se figure qu’il y a des accusés innocents ? Je prendrai ma revanche dans l’affaire Chose. Les journaux ont bien travaillé l’opinion et, grâce à eux, les preuves morales suffiront car tout le monde a pris l’accusé en horreur.

La justice n’est pas vénale dans notre province ; elle est pire : elle est vaniteuse et machinale. Tout sujet qui échappe à ses tenailles est pour elle une cause d’humiliation. C’est un vol fait à sa férocité barbare, et c’est surtout dans les sphères de la police que ce phénomène apparaît visiblement. Les agents et les reporters, ça ne fait qu’un corps. Les premiers fournissent des renseignements quotidiens agrémentés de quelques faveurs justificatives ; les seconds les encensent avec conviction et les consacrent grands hommes aux yeux des imbéciles, dont le nombre est imposant, comme vous savez.

Permettez-moi, Monsieur le Procureur général, de vous donner un exemple tout frais de la façon dont on cuisine la justice à Montréal.

Bradley, le premier accusé du meurtre de la petite Ahearn, a établi un indiscutable alibi au moment de son arrestation. On a passé cet alibi sous silence, dans la presse et dans les bureaux, attendu que, si on en avait tenu compte, il n’y aurait pas eu d’arrestation et, conséquemment, pas de certificat d’habileté à publier dans les palpitants comptes rendus de cet exploit.

Eh bien, tout est à l’avenant. On démoralise le public ; au hasard, on voue des êtres à l’animadversion des foules ; on jette le ridicule et la honte sur notre race ; on foule aux pieds tout sentiment humain, et tout cela, pourquoi ? Pour faire de la sensation, pour faire monter le tirage des journaux dissolvants, pour louer des fonctionnaires complai-