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PENSÉE FRANÇAISE

Eh bien ! ce sceptique, ce désabusé, ce broyeur de noir, ceux qui l’eurent pour compagnon de travail ou qui, en tout cas, jouirent de son intimité durant les dernières années de son existence, diront qu’il s’intéressa jusqu’à la fin avec la même ardeur, avec le même patriotisme passionné et maladif, à l’avenir de la langue française en notre pays. Pour les beaux yeux de cette noble dame, il eût à lui seul accepté bataille du Canada anglais tout entier, y compris les parlementaires de qui il relevait comme traducteur au Sénat. Même on le vit maintes fois, par pur scrupule intellectuel, tourner le dos à la bohème, s’imposer pendant des semaines une dure discipline, pour pouvoir traduire en ce français limpide qu’il avait appris de ses bons maîtres Racine, Voltaire, Louis Veuillot et Anatole France, de l’anglais à faire vomir un reporter du Montreal Star. Ce fidèle serviteur de la langue, de la pensée française, il se moquait, et à bon droit, de ce qui, dans la bouche de journalistes qui ruminent leurs lieux communs avec la même délectation que les bœufs leur paille, prenait le nom prétentieux de littérature canadienne. Mais rien qu’à juxtaposer la « poésie » canadienne de 1800 à 1840 et celle d’aujourd’hui, il ne pouvait point ne pas être frappé et ne pas se réjouir du progrès accompli chez nous sous le double rapport du sentiment et de l’expression poétiques.

Ce n’est pas que tout, absolument tout, soit mauvais dans la production de 1800 et de 1840. Si lamentables ue soient les exercices d’écolier qui ont fait entrer Mermet, Viger, Norbert Morin, Michel Bibaud, Bédard, Petitclair, au panthéon poétique, et quelques défauts (enflure, pédanterie mythologique, préciosité, goût de la cheville et de l’inversion) que les rimeurs canadiens de cette époque doivent à l’imitation d’une période (fin du xviiie