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PENSÉE FRANÇAISE

constitueraient une littérature anglaise, quoique l’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain ne soit anglaise ni par le sujet ni à vrai dire par le style. Goëthe n’avait d’allemand que la langue, il s’en faisait gloire ; et pourtant il semble qu’une demi-douzaine de Goëthes formeraient à eux seuls une assez enviable littérature allemande. Les écrivains canadiens qui approchent de Goëthe, ou seulement de Gibbons, ou même de poussifs prosateurs comme Steele et Addison en Angleterre et Le Sage en France, ils n’existent que sur les frises de nos bibliothèques. Ces invraisemblables accolades de noms paraissent chez nous toutes naturelles, au point que l’homme de goût qui à leur vue gambade de joie, se tord d’hilarité, le fait au risque de son existence, littéralement ; mais le nègre martiniquais ou haïtien qui a passé par l’école française en percevrait à l’instant le ridicule.

Notre manque de sens critique est tel, que presque tout ce que nous venons de poser, qui est la vérité exacte, mathématique, — ou, comme nos poètes commencent à dire : « invulnérable, » — passera pour boutades aux yeux du plus grand nombre, et que personne, ou à peu près, ne se donnera la peine d’en scruter le bien fondé. C’est effectivement le sort qu’aux environs de 1905 eut un article où Jules Fournier, parlant des Études de M. Charles ab der Halden sur la littérature canadienne, soutenait aux lecteurs de la Revue canadienne l’inexistence de cette littérature. Comment pareil article trouva grâce devant le gardien de ce caveau funéraire et orthodoxe, la chose paraîtra certainement mystérieuse aux siècles à venir. Byron disait : “Wordsworth sometimes wakes” ; et le chansonnier Ferny fait dire au notoirement funèbre M. Brisson : « Soyons folichons, parlons de la Révolution française ». J’imagine que le directeur de la Revue canadienne se réveilla pour une fois, et