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PENSÉE FRANÇAISE

impie. Dans certaines œuvres d’adolescence, on dirait qu’il goûte le charme douloureux du péché et qu’il ne trouve pas le sacrilège dépourvu de majesté. Mais ses vers, — ceux publiés dans le volume de l’École Littéraire ainsi que les autres, — seront oubliés parce que lui, l’auteur, possède trop le culte du mot et de l’épithète, parce qu’il recherche l’éclat de la phrase, qu’il se laisse bercer à sa musique et qu’il croit au prestige des sonorités.

Il est de l’école symboliste avancée et ne peut être que de cette école. Il en connaît tous les procédés dont le premier consiste à nommer les attributs ou qualificatifs d’une chose pour la chose elle-même.

« La saxe tinte… il est aube ; …sur l’escalier
Chante un pas satiné dans le frisson des gazes ; »

Alors qu’un naturaliste aurait dit : La pendule de Saxe tinte et l’aube paraît : — dans l’escalier on entend un bruit de pas satiné…

Plus loin, dans un Rêve de Watteau, sonnet où la clarté cède le pas à la sonorité, citons ce dernier vers d’un symbolisme profond et d’une beauté rare :

« Nous déjeunions d’aurore et nous soupions
d’étoiles !»

Il est d’autant plus beau qu’il s’agit ici de deux bergers vêtus de loques et mangeant au gré de l’occasion, s’adorant en frissonnant jusqu’aux moelles par les soirs des crépuscules roux.

Ce dernier vers est un clou, et il s’en trouve plusieurs dans les poésies de M. Nelligan, placés tantôt au commencement de la pièce, tantôt au milieu, tantôt à la fin. Et les clous de M. Nelligan ont ceci de bon, qu’ils sont presque toujours des trouvail-