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DE NOS BESOINS INTELLECTUELS

Mais une race foncièrement « insulaire » et foncièrement « primaire » est bien excusable d’entretenir là-dessus des préjugés, quand, en pays canadien-français, une maison d’enseignement canadienne-française s’applique, négativement par l’indifférence à la culture générale, activement par le caractère bâtard de son enseignement, à aggraver encore l’anglomanie de nos boutiquiers. Dans l’ordre de l’esprit, il est toujours risqué de vouloir établir des rapports rigoureux de cause à effet. Ne vous semble-t-il pas cependant qu’un enseignement qui d’abord, sans nécessité, pousse notre jeunesse à l’anglomanie en des matières où le bon sens plaide au contraire pour le français, et qui ensuite ne se préoccupe pas d’éveiller en elle, par de saines directions générales, les énergies réactives, a sa part de responsabilité dans le gâtisme intellectuel dénoté par nos enseignes ?

Faut-il l’ajouter, hélas ! notre langue s’appauvrit aussi pour une autre raison, qui est que nos lectures habituelles sont du galimatias.

L’homme le plus dépourvu d’humour pourrait, je crois, s’assurer un beau succès de gaîté devant n’importe quel auditoire français en lisant sans commentaires des morceaux choisis de nos journaux. J’ai connu au Canada deux chansonniers français qui expédiaient cette prose au ballot à leurs amis de Montmartre, pour les faire « rigoler », comme ils disaient ; et je n’oserais me flatter de n’avoir jamais figuré dans ces hilarantes exportations. Si donc j’introduis dans ma conférence un sujet comme la qualité de notre journalisme, ce n’est pas pour me donner l’occasion de quelques faciles plaisanteries : l’heure est trop grave, les heures trop brèves et trop précieuses ; c’est uniquement pour rappeler à mes confrères que, nous qui