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EN FINIR AVEC LES CHEFS-D’ŒUVRE

que dans la vie, le rapprochement de deux épidermes dans un stupre sans lendemain.

C’est pourquoi je propose un théâtre de la cruauté. — Avec cette manie de tout rabaisser qui nous appartient aujourd’hui à tous, « cruauté », quand j’ai prononcé ce mot, a tout de suite voulu dire « sang » pour tout le monde. Mais « théâtre de la cruauté » veut dire théâtre difficile et cruel d’abord pour moi-même. Et, sur le plan de la représentation, il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement les corps, en sciant nos anatomies personnelles, ou, tels des empereurs assyriens, en nous adressant par la poste des sacs d’oreilles humaines, de nez ou de narines bien découpés, mais de celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela.

Ou nous serons capables d’en revenir par des moyens modernes et actuels à cette idée supérieure de la poésie et de la poésie par le théâtre qui est derrière les Mythes racontés par les grands tragiques anciens, et capables encore une fois de supporter une idée religieuse du théâtre, c’est-à-dire, sans méditation, sans contemplation inutile, sans rêve épars, d’arriver à une prise de conscience et aussi de possession de certaines forces dominantes, de certaines notions qui dirigent tout ; et comme les notions quand elles sont effectives portent avec elles leur énergie, de retrouver en nous ces énergies qui en fin de compte créent l’ordre et font remonter le taux de la vie, ou nous n’avons plus qu’à nous abandonner sans réactions et tout de suite, et à reconnaître que nous ne sommes plus bons que pour le désordre, la famine, le sang, la guerre et les épidémies.

Ou nous ramènerons tous les arts à une attitude et à une nécessité centrales, trouvant une analogie entre un