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Dans la pratique, sa réforme fut double, métrique et grammaticale.

Il avait l'horreur des vers suivis, par réaction sans doute contre la Franciade de Ronsard et les petits poèmes héroïques de Bertaut, ou, pour mieux dire, parce qu’il sentait à merveille l’efficacité de la contrainte pour la pensée et que, lorsqu’elle n’est pas forcée de se resserrer, — ayant l’espace infini devant soi, elle s’étend et s’étale, fluide et lâche. Aussi, en dehors de sa première poésie de jeunesse, qu’il reniait d’ailleurs, ne lui connaît-on pas une seule pièce qui ne soit partagée en strophes. La strophe est son perpétuel souci : Racan le surprend un jour occupé à payer en mesure un ouvrier, en lui alignant deux fois 10, 10 et 5 sols, parce qu’il songe à une pièce qu’il vient de faire et où les vers sont rangés de la même sorte. Quelques années plus tard, si l’on en croit du moins le prestigieux évocateur moderne, — Ragueneau, le poète-rôtisseur, fait, sur la broche interminable,

le modeste poulet et la dinde superbe
alterner…, comme le vieux Malherbe
alternait les grands vers avec les plus petits,
et fait tourner au feu des strophes de rôtis[1]
.

Ragueneau ne peut avoir été qu’un élève inconnu de notre poète.

Celui-ci méprise les deux genres poétiques qui s’écrivent en vers suivis, l’élégie et le théâtre, et

  1. Cyrano de Bergerac, acte II.