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QUELQUES POÈTES

 
Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
la javelle à plein poing tomber sous la faucille,
le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes,
les humides vallons et les grasses campagnes
s’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Le Romain se réjouit d’avance de la battue au sanglier et des petits pièges tendus aux grives…, et le gentilhomme français répond en bon veneur par la chasse au lièvre qui revient d’ordinaire se faire tuer au gîte, avec la voix des chiens dans le lointain, et par la chasse au cerf dont on suit les « foulées » sous les hautes futaies.

L’épicurien antique évoque les doux sommes au bord de l’eau, le poète moderne aspire simplement à se promener au bord des sources

 
de qui les petits flots font luire dans les plaines
l’argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons,

l’un des vers de description du sol les plus colorés et les plus vrais de notre poésie classique[1] Ce n’est pas que le financier romain ignore la campagne : il l’a vue, il Fa même observée dans les villas de Tibur et de la Sabine ; mais le tableau qu’il en fait est trop bien nuancé, trop complet sans être faux, trop bien assorti pour venir d’un amour profond.

  1. En fait de couleur l’on a dû remarquer la richesse d’un verset des Psaumes de Racan, que nous avons cité plus haut :

    Tu règnes sur un trône où le flambeau du jour
    épand sur les rubis ses lumières dorées,
    où l’astre de la nuit paraissant à son tour,
    tend d’ébène et d*argent les voûtes azurées (psaume 103)

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