Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

 
il voit sans intérêt la mer grosse d’orages,
et n’observe des vents les sinistres présages
que pour le soin qu’il a du salut de ses blés.

5. Roi de ses passions, il a ce qu’il désire,
son fertile domaine est son petit empire ;
sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
et, sans porter envie à la pompe des princes,
se contente chez lui de les voir en tableau.

6. Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
la javelle à plein poing tomber sous la faucille,
le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes,
les humides vallons et les grasses campagnes
s’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

7. Il suit aucunes fois un cerf par les foulées
dans ces vieilles forêts du peuple reculées
et qui même du jour ignorent le flambeau ;
aucunes fois des chiens il suit les voix confuses,
et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

8. Tantôt il se promène au long de ses fontaines,
de qui les petits Ilots font luire dans les plaines
l’argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons,
tantôt il se repose avecque les bergères
sur des lits naturels de mousse et de fougères
qui n’ont autres rideaux que l’ombre des buissons.

9. Il soupire en repos l’ennui de sa vieillesse
dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
a vu dans le berceau ses bras emmaillotés ;
il tient par les moissons registre des années,
et voit de temps en temps leurs courses enchaînées
vieillir avecque lui les bois qu’il a plantés.

10. Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
à la merci des vents et des ondes chenues,