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QUELQUES POÈTES

Nous repoussons résolument la tentation de suivre dans ses capricieux méandres cette existence de soixante-cinq ans, si « diversifiée », suivant un de ses mots favoris[1], et qui a reflété dans son cours tant de paysages et de bosquets variés : telle une rivière nullement pressée, toute gracieuse de contours et de mélancolie, qui l’opposent aux puissants fleuves, dont le cours droit, rapide et fort, symbolise assez bien la volonté ferme et les convictions chez les hommes. Nous ne suivrons point successivement le jeune romantique qui incarna dans le Cénacle la finesse du goût et l’érudition, essaya de fournir, dans la personne de Ronsard, un portrait d’ancêtre à Victor Hugo, puis se détacha de la nouvelle école et de son impérieux chef ; — le célibataire endurci, amoureux de Mme Victor Hugo, puis de Mme d’Arbouville et assidu chez Mme Récamier, — le poète qui se cache à demi, telle Galatée sous les saules, sous le nom de « son ami Joseph Delorme », un jeune frère de René et d’Obermann qui aurait lu les Regrets de Joachim du Bellay et les élégies sensuelles d’André Chénier, — le fervent de Lamennais, qui se détache, en 1840, du christianisme, comme il avait fait plus tôt du romantisme, — l’artiste qui, en cette même année, décisive pour lui, renonce tristement à la création littéraire (vers et romans), pour se faire biblio-

  1. Son autre mot favori est saison, pris au figuré. On sait que l’on se peint dans de tels mots : ceux de Sainte-Beuve marquent bien son double goût de la variété et de la poésie.