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et éhontés de la force contre la justice, du mal contre le bien, de l’erreur contre la vérité. On reconnaît dans la circonspection de Gorgias le caractère général qu’on lui prête, et peut-être aussi l’influence de sa position diplomatique. Il n’est pas dans son pays ; et même pour des discussions de pure théorie, il doit ménager tous les Athéniens, dont il attend le salut de sa patrie. L’ouvrage de Gorgias était intitulé : « Du Non-Être, ou De la Nature ». On ne sait pas quelle en était la composition générale ; mais on voit assez par notre opuscule quelle en était la pensée. Au fond, c’est un scepticisme absolu. Sur ce point, il n’y a pas d’hésitation possible. Sextus Empiricus, qui semble avoir sous les yeux l’ouvrage même de Gorgias, nous en a conservé, comme je l’ai déjà dit, une analyse tout à fait conforme à celle que nous trouvons ici (Adversus Mathematicos, Logicos, liv. VII, pages 285 à 290, éd. de 1862 ). Il range Gorgias parmi les philosophes qui refusent à l’homme toute faculté de juger de la vérité des choses, et qui nient la possibilité d’un critérium. C’est là une pauvre doctrine, qui contient en elle-même, comme tout scepticisme absolu, une contradiction inévitable. La certitude ébranlée en logique l’était également en morale, et l’on ne saurait s’étonner de la guerre ardente de Socrate contre les sophistes, corrupteurs des esprits et des mœurs.

Il paraît que l’ouvrage de Gorgias, dont le titre seul est une bravade contre le sens commun, a été composé ou a paru dans la 94e Olympiade, c’est-à-dire en l’an 403 avant J.-C. On était à la fin de la guerre du Péloponnèse ; et le moment était assez mal choisi pour contester la réalité