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composait un poème narratif en un ou plusieurs mètres autres que celui-là, on verrait comme ce serait déplacé.

VI. C’est que l’héroïque est le plus posé des mètres et celui qui a le plus d’ampleur ; aussi se prête-t-il le mieux aux noms étrangers et aux métaphores, car la poésie narrative est la plus riche de toutes. Quant au vers ïambique et au tétramètre, ils ont la propriété d’agiter ; l’un convient à la danse, l’autre à l’action dramatique.

VII. Une chose encore plus déplacée, ce serait de mélanger ces mètres, à la façon de Chérémon. Aussi l’on n’a jamais fait un poème de longue haleine dans un mètre autre que l’héroïque. D’ailleurs, comme nous l’avons dit, la nature elle-même enseigne à discerner ce qui lui convient.

VIII. Homère mérite des louanges à bien d’autres titres, mais surtout en ce que, seul de tous les poètes, il n’ignore point ce que le poète doit faire par lui-même. Le poète doit parler le moins possible en personne ; car, lorsqu’il le fait, il n’est pas imitateur.

IX. Les autres poètes se mettent en scène d’un bout à l’autre de leur œuvre ; ils imitent peu et rarement ; mais lui, après un court prélude, introduit bientôt un personnage, homme ou femme, ou quelque autre élément moral, et jamais personne sans caractère moral, mais toujours un personnage pourvu de ce caractère.

X. Il faut, dans les tragédies, produire la surprise, mais dans l’épopée il peut y avoir, plutôt qu’ailleurs, des choses que la raison réprouve (c’est ce qui contribue le plus à la surprise), parce que l’action ne se passe pas sous les yeux. Ainsi les détails de la poursuite d’Hector seraient ridicules à la scène, où l’on verrait d’une part les Grecs s’arrêtant court et cessant