Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dans la preuve ; car c’est un élément moral : « Moi aussi j’ai donné (de l’argent), tout en sachant bien qu’il ne faut pas être confiant. » Voici la même idée, exprimée en termes pathétiques : « Il ne m’importe guère d’être préjudicié ; à lui il reste le profit, mais à moi, la justice. »

X. Haranguer est plus difficile que de plaider ; et cela se comprend : dans le premier cas, on s’occupe de l’avenir, et dans le second, du passé. Les augures le savaient bien, comme l’a dit Épiménide le Crétois. Il ne prononçait pas d’oracles sur l’avenir, mais sur le passé, inconnu d’ailleurs. La loi sert de texte aux discours judiciaires ; or, quand on part d’un principe, il est facile de concevoir une démonstration, et l’on n’a pas à beaucoup insister. Ainsi l’on peut faire du pathétique contre l’adversaire, ou en faveur de sa propre cause, mais, en aucune façon, sans s’écarter du sujet. Il faut donc n’y recourir que si l'on est à court d’arguments ; c’est ce que font les orateurs d’Athènes, et (notamment Isocrate), il accuse dans un discours délibératif ; c’est ainsi qu’il incrimine les Lacédémoniens dans le Panégyrique, et Charès dans son discours sur les alliés[1].

XI. Dans les discours démonstratifs, il faut placer çà et là des louanges sous forme d’épisodes comme le fait Isocrate ; car toujours il met en scène quelque personnage[2]. C’est dans ce sens que Gorgias disait que la matière ne lui faisait pas défaut : parlant d’Achille, il fait l’éloge de Pélée, puis d’Éaque, puis du dieu (Jupiter), puis, par la même occasion, celui de la

  1. Discours sur la paix, § 27.
  2. Thésée (Hélène § 22 ; Pâris (Ibid., § 41) ; les prêtres égyptiens et Pythagore (Busiris, § 21) ; les poètes (Ibid., § 38) ; Agamemnon (le Panathénaïque, § 72). Cp. Spengel.