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centaines d’années, ou qui surviendront dans l’avenir, ou qui sont morts, personne n’est en rivalité avec eux, pas plus qu’avec ceux qui habitent aux Colonnes d’Hercule, ni ceux qu’une grande différence, en plus ou en moins, sépare de nous ou des autres. Voilà pour les objets d’envie et pour les envieux de cette sorte.

VI. Mais, comme on est en compétition avec ses concurrents, avec ses rivaux en amour, et, d’une manière générale, avec ceux qui convoitent le même objet que nous, il en résulte, nécessairement, que ce sont surtout ces sortes de personne qui excitent l’envie. De là le proverbe : « Potier contre potier[1]. »

VII. De même à ceux qui atteignent promptement leur but portent envie ceux qui l’atteignent avec peine ou ne l’atteignent pas du tout.

VIII. À ceux encore dont les acquisitions ou les succès sont un reproche pour nous ; c’est le cas de ceux qui nous touchent de près ou sont dans une condition semblable à la nôtre, car on sent bien que c’est par sa propre faute que l’on n’obtient pas le même avantage, et cette pensée, en causant du chagrin, fait naître l’envie.

IX. De même à ceux qui possèdent ou se sont procuré tels biens qu’il nous eût été convenable de posséder, ou que nous possédions jadis ; c’est ce qui fait que les vieillards portent envie aux jeunes gens.

X. Ceux qui ont fait de grandes dépenses pour une œuvre portent envie à ceux qui ont obtenu le même résultat à peu de frais.

XI. On voit clairement aussi de quoi se réjouissent les gens de cette sorte, quelles personnes leur

  1. Hésiode, Œuvres et Jours, vers 25.