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soi-même, il faut qu’on le possède ; autrement, le bonheur sera incomplet en ce point. Donc, pour qu’un homme puisse jouir d’une félicité parfaite, il faudra qu’il ait des amis vertueux.

X. Mais faut-il s’attacher le plus grand nombre possible d’amis[1] ? Ou bien, peut-on appliquer aussi à l’amitié, ce qui a été dit par un poète, des liaisons d’hospitalité : « N’en point avoir beaucoup, n’en être pas entièrement dépourvu[2], » et dira-t-on pareillement cela des amis ? C’est sans doute aux amitiés fondées sur l’utilité, que ce qu’on vient de dire paraît plus applicable. Car rendre service pour service à un grand nombre de personnes, est une tâche très pénible, et la vie toute entière n’y suffirait pas. Par conséquent, les amis de cette espèce, au-delà du nombre qu’exigent les circonstances particulières où l’on se trouve, sont une superfluité embarrassante, et un véritable obstacle au bonheur et à l’agrément de la vie. Il ne faut donc pas [beaucoup] de ceux-là ; et quant à ceux qui ne peuvent servir qu’au plaisir, il en faut bien peu, comme il faut peu d'assaisonnement dans les aliments.

Mais, des amis vertueux, faut-il s’efforcer d’en avoir le plus grand nombre possible, ou bien y a-t-il, en ce genre, une limite qu’on ne doive pas

  1. Question examinée aussi dans les deux autres traités. Voy. M. M. l. 2, c. 16 ; et Eudem. l. 7, c. 12.
  2. Voyez le poème d’Hésiode, intitulé : Les Œuvres et les Jours (vs. 715).