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quent, il est facile d’être juste ; mais cela n’est pas véritablement, il est facile d’avoir commerce avec la femme de son voisin, de frapper un autre homme, de donner de l’argent à quelqu’un, et cela dépend de celui qui le fait ; mais faire ces choses dans telles circonstances, et avec telles et telles conditions précises et déterminées, c’est ce qui n’est ni facile, ni en notre pouvoir. Pareillement, il semble qu’il ne faut pas une grande habileté pour discerner ce qui est juste et ce qui est injuste, parce qu’il n’est pas difficile de comprendre ce que disent les lois sur ce sujet ; mais ce n’est le juste que par hasard. Ce qui est juste, au contraire, c’est ce qui se fait et ce qui se distribue d’une certaine manière, et suivant des conditions précises et déterminées. Or, c’est là une tâche plus difficile que de connaître ce qui est avantageux pour la santé ; et, en effet, rien de si facile que de savoir ce que c’est que miel, vin, ellébore, cautère, amputation : mais comment faut-il employer ces choses pour rétablir la santé, à qui faut-il les prescrire, dans quel temps, dans quelles circonstances ? Voilà précisément ce qui fait l'art du médecin.

Par la même raison, l’on s’imagine qu’il n’y a rien qui fût si possible à un homme juste que de commettre une injustice ; parce que l’homme juste pourrait tout aussi bien, et même plus facilement, faire chacune de ces actions, comme de séduire une femme, de frapper quelqu’un, et qu’il ne tiendrait qu’à l’homme de cœur de jeter son bouclier, de tourner le dos à l’ennemi, et de courir dans