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et, en effet, celui qui anéantit les moyens de vivre qu’il possédait, se détruit, en quelque sorte, lui-même[1]. C’est donc en ce sens que nous prenons le terme de prodigalité.

On peut faire un bon ou un mauvais emploi des choses qui ont quelque utilité : or celui qui possède la vertu relative à chaque chose, doit être le plus capable de faire un bon usage de cette chose ; et, par conséquent, celui qui possède la vertu relative aux richesses, sera aussi capable d’en faire le meilleur emploi. C’est donc celui-là qui est libéral. Au reste, l’emploi, en ce genre, consiste plus particulièrement à dépenser et à donner : mais l’acquisition et la conservation doivent plutôt s’appeler possession[2] ; et, par cette raison, le fait du libéral est de donner à qui il convient, plutôt que de recevoir de qui il doit, ou bien de ne pas prendre où il ne faut pas : car la vertu consiste à faire du bien, plutôt qu’à en recevoir ; à s’honorer par des actions estimables, plutôt qu’à

  1. Il y a ici, dans le grec, une allusion à l’étymologie du mot ἄσωτος (prodigue), qu’il était impossible de rendre en français. Le mot grec, décomposé dans ses éléments, signifie en effet, « celui qui est privé, ou qui se prive, des moyens de salut ou de conservation. »
  2. Il y a entre les mots grecs χρῆσις (usage, usufruit), et κτῆσις (possession, propriété), une opposition, ou une nuance de signification qui est expliquée avec assez d’élégance dans ce passage d’une lettre de Curius à Cicéron : Si bene vales, bene est. Sum enim χρήσει μὲν tuus, κτήσει δὲ Attici nostri. Ergo fructus est tuus, mancipium illius. (Cic. Famil. l. 7, Ep. 29.)