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qu’il était, à l’endroit du bal, pour y gronder sur-le-champ sa femme et ses domestiques. Il fallait descendre par des terrasses et traverser tout le jardin, qui est assez large, pour aller de chez lui à la maison du jardinier. Le marquis fit tout ce chemin dans l’obscurité et avec la plus grande célérité ; il ouvre avec précipitation la porte du bal ; on y voit paraître le marquis en robe de chambre, nus pieds (car il avait perdu ses pantoufles), deux ou trois bonnets sur la tête ; les pans de sa chemise flottant au gré du vent, tenant à la main une casserole avec les restes du ragoût, et criant, je suis empoisonné ! je suis empoisonné ! Après cela il se répand en reproches contre sa femme et menace ses domestiques de les chasser tous pour avoir employé des casseroles de cuivre, contre ses ordres. On eut bien de la peine à l’appaiser ; mais faisant tout-à-coup réflexion à l’état où il se trouvait et au danger qu’il avait couru de s’exposer presque nu à un air froid, pendant la nuit, il fut dans de nouvelles transes ; on l’empaqueta bien, on le couvrit bien, et on le reporta dans son appartement.

Ces extravagances faisaient rire Frédéric ; mais, sans rien diminuer de son estime pour le