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cés, pour la faire recevoir. Écoute, me dit-il, tu es dans le préjugé de tous ceux de ta nation : notre prophète ne s’est porté à ces excès que parce qu’il y a été forcé par le Tout-puissant qui voulait l’obliger à punir un peuple, dont les vices avaient comblé la mesure. Regarde dans la Bible, qui est un livre sacré dans ta religion, tu verras que Dieu ordonna aux Juifs de massacrer et d’exterminer jusqu’aux enfans à la mamelle de certaines nations qui avaient mérité sa colère. Pourquoi loues-tu et approuves-tu dans les uns ce que tu blâmes dans les autres ? avant de condamner une action, il en faut regarder le motif ; d’ailleurs Mahomet avait des droits pour recouvrer le chérifat de la Mecque que ses ancêtres avaient possédé pendant plusieurs générations ; et, ayant été traversé dans cette entreprise par plusieurs princes voisins, il usa de représailles. Si tu veux regarder Mahomet comme l’envoyé de Dieu, tu ne peux point lui faire un crime d’avoir obéi, ainsi que les chefs du peuple juif firent autrefois. Si tu veux le considérer comme un prince, pourquoi condamnes-tu en lui ce que tu loues dans Alexandre, dans Jules César et dans une partie des monarques du monde ?