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d’argent le rendirent le maître d’un cœur que je perdais à regret, mais qui, dans la situation où j’étais, m’était à charge. Aussi ne fus-je point fâché, lorsque je sus qu’elle avait un autre amant.

Peu de temps après que mon intrigue avec Chichote eut fini entièrement, le régiment alla en garnison à Douai, et moi je me rendis à Lille, pour faire ma cour à M. le duc de Bouflers. Ce seigneur a de grandes qualités, sans avoir celle de se faire aimer ; il est bien fait ; il a du génie, de la valeur ; il est honnête homme, caractère rare à la cour : tant de vertus lui gagneraient tous les cœurs, s’il ne les écartait par sa fierté et par sa hauteur ; il est envié des grands et peu aimé des petits[1].

  1. Le duc de Bouflers, dont parle ici le marquis d’Argens, était fils du maréchal de Bouflers, si célèbre sous le règne de Louis XIV. Il fut envoyé à Gênes et y servit avec distinction en 1747. Cette ville était bloquée par les Autrichiens, il les força à se retirer ; il sauva la ville, mais il ne jouit pas de sa gloire : il mourut de la petite vérole le jour même où l’ennemi se retirait. Sa femme la duchesse de Bouflers, est célèbre par les graces de son esprit, par les agrémens dont elle embellit la cour du roi Stanislas, à Lunéville, par ses liaisons avec Voltaire, et par la célébrité même du chevalier de Bouflers si connu par ses vers et par ses