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n’aiment pas à demi ; elles ne savent point affecter un inutile mystère ; elles ignorent quand elles aiment la feinte et l’artifice, et ne connaissent que le langage du cœur. Avec des sentimens pareils un amant français va vite en besogne. Aussi, dès que j’eus le cœur de Ninesina, c’était ainsi qu’on l’appelait, je tardai peu à être le maître de la personne.

Pour avoir plus de commodité, je pris un appartement dans son logis, où il y en avait plusieurs ; il m’était par ce moyen plus aisé de tromper la vigilance de sa mère, qui la gênait assez, mon sort ayant été d’avoir toujours des mères diaboliques qui ont empoisonné les douceurs que je goûtais auprès des filles. Ninesina avait trouvé le secret de m’introduire toutes les nuits dans sa chambre sans qu’on s’en aperçût ; il y avait six semaines que notre intelligence durait, lorsqu’un jour sa mère s’éveilla ; elle était pressée de quelque besoin ; et, ayant vainement cherché sous son lit un pot, elle passa dans la chambre de sa fille pour se servir du sien. Nous l’entendîmes venir ; et, comme nous ignorions quel était son dessein, je n’eus que le temps de me glisser sous le lit de Ninesina. Sa mère, en entrant, lui dit : Dormez-vous, ma fille ? Non, répondit-elle ; mais d’où