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par les circonstances. Un jeune provençal, de bonne famille, avait passé à Lausanne, où il avait changé de religion et épousé une fille du pays. Revenu en France, il avait abjuré. Sa femme le suivit peu après pour demander la continuation de son mariage. Je portais la parole pour les gens du roi. Gêné par les ordonnances et ne pouvant faire autrement que de déclarer le mariage nul, je le fis de telle façon que j’obligeai les juges de condamner ce jeune homme à une amende et à des dédommagemens considérables.

Cette affaire étonna bien des gens ; ils étaient surpris qu’ayant vécu comme j’avais fait jusqu’alors, j’eusse pu acquérir autant de facilité que j’en avais pour les sciences. Je résolus même de m’y adonner entièrement ; romans, historiettes, tout fut banni de mon cabinet. Locke succéda à madame de Villedieu, Gassendi et Rohault à Clélie et à l’Astrée[1] ; j’ap-

  1. Locke, philosophe anglais que tout le monde connait et estime, et qu’on lit peu aujourd’hui. Il est auteur du célèbre ouvrage de l’Entendement Humain. Voltaire et quelques philosophes ont cru bien faire de dire qu’il était matérialiste ; ce ne serait qu’un malheur de plus pour lui et les autres hommes, dont les espérances consolantes se trouveraient d’autant affai-