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verre pilé ne passât dans les intestins. J’en ai pourtant été incommodé fort long-temps de la poitrine et de l’estomac. Quand on m’eut enlevé le moyen de cesser de vivre, je n’eus plus d’autre recours qu’aux larmes ; je formai la résolution de me laisser mourir de faim.

Cependant le ciel m’avait destiné à de plus grands malheurs. Sylvie avait reçu ma lettre ; à peine l’eut-elle lue qu’elle troubla tout le couvent par ses pleurs. Crivelly apprit jusqu’où j’avais poussé ma rage ; il vint me voir, et me dit tout ce qu’il put s’imaginer. Je ne lui répondis jamais un seul mot. Il lut dans mes regards que j’avais peu de part à la vie ; il courut chez Sylvie ; elle était persuadée que je ne vivais plus. Il la dissuada, et lui apprit qu’on m’avait sauvé ; cette nouvelle la rassura un peu. Crivelly lui dit de m’écrire, pour m’empêcher de me porter à des extrémités si funestes ; c’était bien son dessein, sans qu’il le lui conseillât ; elle m’envoya cette lettre.

Vivez, mon, cher Marquis ou je vous suivrai au tombeau, : votre dernière marque d’amour me fait voir combien vous méritez d’être aimé. Je vais me servir de l’argent que votre père m’a donné, pour vivre seule dans une maison de campagne, en atten-