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nous l’avions prémédité. Sylvie devait quitter la comédie, lorque la troupe partirait de Nîmes, et venir me trouver en Provence dans une maison de campagne, où je devais la loger. J’avais trouvé un prêtre qui m’avait promis de nous marier, lorsque tout changea de face.

J’entre dans la vaste mer de mes infortunes, et le souvenir m’en est encore sensible après dix ans d’écoulés. Il y avait à la comédie une actrice nommée la du Lac, monstre que le ciel avait produit pour mon malheur ; elle avait été long-temps entretenue parle prévôt des marchands de Lyon, étant danseuse à l’opéra ; et après avoir eu de lui cinq ou six enfans, elle s’étoit mariée à un comédien à qui elle avait donné près de trente mille livres en argent, ou en bijoux. C’était le reste d’une banqueroute de plus de huit cent mille livres, qu’elle avait fait faire à son amant. Cette femme haïssait Sylvie sans savoir pourquoi ; elle affectait souvent de me plaindre de ce que j’étais si amoureux ; mais le peu d’attention que je faisais à ses discours, et la conduite de Sylvie, qui était irréprochable, faisaient qu’elle n’osait s’expliquer clairement.