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Quoi ! Sylvie, lui dis-je, vous croyez que ma plus grande envie n’est pas de faire votre bonheur ! Pouvez-vous penser qu’un amant aussi tendre ait de pareils sentimens ? Avez-vous vu jusqu’ici que j’aie mérité ces reproches ? Eh ! n’est-ce pas les mériter, me dit-elle, que d’exiger de moi de vous recevoir ici à pareille heure ? Je m’excusai le mieux qu’il me fut possible. Sylvie ne voulait point me trouver coupable ; j’avais à faire à un juge indulgent : ma grace fut bientôt obtenue.

Charmé d’avoir appaisé Sylvie, je fus près d’une demi-heure sans songer, pour ainsi dire, combien ce rendez-vous m’avait coûté de peines et de soins. À la fin l’amour rappela ma hardiesse ; j’entremêlai notre conversation de mille privautés, dont Sylvie se détendit, et que j’enlevais moitié par ruse moitié par force. L’amour et l’occasion parlaient pour moi ; je voulus en profiter : je pressais excessivement Sylvie. Dans ce désordre, j’oubliais insensiblement le respect ; bientôt je n’aurais plus ménagé du tout la pudeur de ma charmante maitresse. Ah ! c’en est trop, s’écria-t-elle ; si vous ne cessez vos indignes efforts, je vais appeler ma mère ; j’aime mieux lui avouer la