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conversation, et je fus assez heureux pour lui faire avouer que je ne lui étais point indifférent.

Depuis ce moment délicieux, mes jours semblaient tissus d’or et de soie ; je voyais Sylvie, je lui disais que je l’aimais ; elle le souffrait ; je lui faisais avouer qu’elle m’aimait. Quoique j’entrevisse que cet aveu la blessait, il ne m’en était pas moins cher. Rien n’aurait manqué à mon bonheur, si l’amour chez moi eût pu être toujours spéculatif ; mais il est difficile de le réduire à ce point quand on n’a que vingt ans ; d’ailleurs, dans l’idée que j’avais d’une comédienne, j’étais étonné de trouver tant de résistance. J’avais tenté la voie des présens, elle avait été inutile, elle les avait tous refusés ; ç’avait été avec peine que je lui avais fait accepter un bouquet ; elle avait reçu les fleurs, mais elle avait constamment refusé le ruban, parce qu’elle l’avait trouvé trop beau. Nous avions été brouillés trois jours pour une toilette que j’avais envoyée chez elle ; elle m’avait forcé de la reprendre, et j’avais été obligé de la rendre au marchand. Je ne savais quel parti prendre ; lorsque je voulais m’émanciper à quelque petite liberté, l’air triste et sérieux que prenait Sylvie me