Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 9.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La liberté d’Haïti, Monsieur le Président, est pour eux (les négriers européens), un objet de jalousie ou même de fureur. La noyer dans des flots de sang, serait leur jouissance. Certes, je n’ai aucun droit de m’immiscer dans votre gouvernement ; mais je me croirais coupable, si j’omettais de vous prémunir contre les pièges de toute espèce. Qui sait si des émissaires astucieux, consommés dans l’art des intrigues, des fourberies, ne se glisseront pas dans vos rangs pour capter votre confiance ? La politique qui, en théorie, est une branche de la morale, en est toujours presque l’inverse dans la pratique des temps modernes. Elle est remplacée par un espionnage plus avilisant encore pour ceux qui le soudoyent que pour ceux qui l’exercent, et par des manèges tortueux qui décèlent l’incapacité. Tels n’étaient pas ces grands hommes d’État, Suger, Sully, Turgot, Malesherbes… Une tentative qui, aux yeux des pervers, promet des résultats plus efficaces, sera de susciter des préventions, d’allumer des haines entre les couleurs (entre les noirs et les mulâtres). Dévoiler cette trame, c’est la détruire. Les Haïtiens, quelles que soient les nuances de l’épiderme, sentiront plus que jamais la nécessité d’étouffer tous les germes de division, de s’unir étroitement et de former ce faisceau indestructible dont un père mourant offrait l’emblème à sa famille. Si ces observations, Monsieur le Président, vous paraissent fastidieuses et superflues, vous les pardonnerez au motif qui les a dictées. »

Voilà un langage digne de celui qui se sentait la mission d’évangéliser les hommes égaux à ceux de toutes les autres races, qui leur prêchait la morale du christianisme. Était-ce dans le même but que le pape Pie VII envoya M. de Glory comme son vicaire apostolique à Haïti ? La conduite tenue par cet évêque ne l’a pas prouvé ; et elle aurait pu occasion-