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France, sans pouvoir espérer d’y parvenir efficacement ; — que la clause du traité secret de 1814, donnant la faculte aux navires anglais de continuer leur commerce dans les ports non occupés par les autorités françaises ou non attaqués, il pouvait s’ensuivre des difficultés graves avec la Grande-Bretagne, qu’il fallait éviter ; — qu’enfin, Boyer et ses concitoyens pourraient se jeter dans les bras des Anglais, s’ils se voyaient menacés. »

Il semble qu’alors « la reconnaissance ou la concession de l’indépendance d’Haïti » eût dû être la conclusion de ce conseil privé. Mais il examina aussi cette question par rapport aux colonies espagnoles, et il fut décidé que la France ne pouvait tracer un précédent qui nuirait à l’Espagne, dans ses prétentions et son espoir de les soumettre.

M. Esmangart, qui avait mieux vu ce qu’il était réellement dans l’intérêt de la France de faire, pour elle-même, pour son commerce et pour les colons, proposa donc : de l’autoriser à faire des ouvertures à Boyer qui, depuis son avènement à la présidence, n’avait pas encore été en correspondance officielle avec le gouvernement français ; et cette autorisation lui fut accordée[1].

Tels furent les motifs de l’envoi de M. Aubert Dupetit-Thouars qui serait chargé, néanmoins, de sonder les dispositions de Boyer, de lui insinuer l’idée de reconnaître la suzeraineté du Roi de France, ou à la France un droit de

  1. Ayant eu la faculté de consulter les cartons du ministère de la marine et des colonies, j’y ai lu tout ce que je viens de rapporter. Je me suis ainsi convaincu que la question de l’Indépendance d’Haïti a été examinée sans animosité par les hommes d’État qui formaient le conseil privé. Celle des colonies espagnoles a plus contribué que toute autre chose à éloigner une solution, et il a fallu la reconnaissance de leur indépendance par la Grande-Bretagne, pour décider la France à agir en 1825. J’ai cru reconnaître que les ministres français n’avaient pas toute leur liberté d’action, avec une famille qui tenait tant au droit divin.