Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 9.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bre parmi eux aimèrent-ils mieux retourner aux Etats-Unis à leurs frais[1].

Ce n’est pas sans regret, sans peine, que des hommes se décident à abandonner leur lieu natal, sans espoir de retour, pour aller habiter un autre pays ; il y a tant de choses agréables pour le cœur de l’homme, dans les jeux de son enfance, dans les plaisirs de sa jeunesse, dans ses relations de parenté et d’amitié, dont il ne saurait perdre le souvenir, et qui le rattachent au lieu où il a passé ses premières années !

Ces sentimens agissaient sans doute sur l’esprit et le cœur des émigrans ; et si l’on examine ensuite que ces infortunés étaient privés d’instruction, qu’ils s’étaient habitués à vivre aux Etats-Unis dans la dégradation morale que leur infligeait le préjugé colonial, qu’ils ne parlaient pas le même langage que celui des Haïtiens, qu’ils avaient des cultes différens du catholicisme, qu’ils se voyaient obligés de contracter tout à coup d’autres habitudes, on ne sera pas étonné qu’il en soit resté si peu en Haïti.

  1. Le Télégraphe du 17 avril 1825 contient un avis du secrétaire général, en date du 12, par lequel le gouvernement fît savoir qu’à partir du 15 juin suivant, il ne payerait plus le passage ou la nourriture des émigrans. Il y est constaté que parmi eux il y en eut qui, trois jours après leur arrivée au Port-au-Prince, demandèrent la permission de s’embarquer pour retourner aux Etats-Unis ; ceux-là étaient venus sans leurs effets : il fut évident que les capitaines de navires avaient trouvé le moyen de faire ainsi une spéculation.

    Trois mois après cet avis, Boyer reçut une lettre de M. David Minge, habitant de Charles City County, dans l’Etat de Virginie, qui l’informait qu’il avait expédié un navire à Santo-Domingo, sur lequel il fit embarquer quatre-vingts esclaves qu’il possédait, afin qu’ils fussent libres sur la terre d’Haïti. Ce philanthrope les recommanda ; au Président comme de bons agriculteurs : « Que dois-je désirer davantage, dit-il, si ce n’est d’apprendre qu’ils ne sont plus les esclaves de David Minge, mais bien les sujets d’un gouvernement libre et les citoyens de la République heureuse et prospère d’Haïti ?… » Le général Inginac lui répondit, par ordre du Président, pour le remercier et le féliciter de cet acte vraiment chrétien, en le priant de permettre que la République lui remboursait les frais qu’il avait faits à cette occasion, et en fournissant des outils à ces hommes pour les travaux agricoles auxquels ils seraient employés.