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entraîna les troupes, au contraire, et se prononça contre le roi, dans la soirée du même jour.

On conçoit quel dut être l’étonnement de Christophe, lorsqu’il connut le soulèvement de Richard et des autres officiers supérieurs avec ces troupes ; à quelle fureur il dut se livrer lorsqu’il apprit que le trésor du Cap était devenu la proie de ces hommes, naguère si courbés sous le joug de fer de sa tyrannie ; que ses châteaux, ses haras étaient livrés au pillage des soldats et des cultivateurs ; lorsqu’il vit, de Sans-Souci, ses belles plantations de cannes livrées aux flammes dans la plaine de Limonade ![1]. Car toutes ces choses eurent lieu aussitôt qu’on se fût prononcé contre sa cruelle autorité. Mais en même temps, la délivrance des nombreux prisonniers chargés déchaînes, compensait, aux yeux de la société, ces actes de désordre inévitables de la part d’un peuple secouant le joug qui pesait sur sa tête depuis quatorze années.

Ce fut sans doute la plus grande punition que Dieu pût infliger à cet homme dont la vanité et l’orgueil se complurent pendant si longtemps à avilir ses concitoyens, ses égaux, à leur imposer une obéissance servile, par l’exercice d’une autorité capricieuse qui ne trouvait de satisfaction que dans les crimes les plus monstrueux. Après l’avoir frappé d’impuissance physique, la Providence voulut qu’il assistât à la chute de ce pouvoir sanguinaire, qu’il vît le Peuple Souverain reprendre tout son empire pour l’anéantir. Car, qu’est-ce que la mort pour

  1. Outre les véritables palais de Sans-Souci et du Cap-Henry, il y avait sept autres résidences qualifiées ainsi dans différentes villes. Quant aux châteaux, ou anciennes habitations coloniales, il y en avait quinze désignés chacun par un nom particulier : ainsi, les Délices de la Reine, Bellevue-le-Roi, la Conquête, la Victoire, la Gloire, Tenez-y, Mettez-y, etc. La plupart étaient des sucreries, d’autres, des cotonneries dans la plaine de l’Artibonite.