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être débarquées sous le soleil de la zone torride, au cœur de l’été, en les exposant ainsi aux ravages certains de la fièvre jaune. Cette expédition, meurtrière sous tous les rapports, se fût accomplie, si la Providence, vraiment chrétienne, n’avait pas jeté au milieu de la France l’homme extraordinaire dont on voulait imiter la regrettable conduite dans les temps antérieurs[1].

Et, chose étrange ! l’Empereur Napoléon eut encore l’honneur de signer l’acte humain qui, désormais, mettait les Bourbons dans l’impossibilité de suivre l’exécution de leurs desseins contre Haïti : non, peut-être, parce qu’il fut uniquement guidé par un sentiment de justice envers les malheureux Africains et les Haïtiens, mais aussi par des vues politiques, à raison de sa position nouvelle à l’égard de l’Europe, et pour se rendre agréable au peuple et au gouvernement anglais ; car son retour s’effectua au milieu des manifestations qui eurent lieu dans la Grande-Bretagne contre la traite des noirs[2].

  1. Dans une de ses lettres au ministre de la marine, D. Lavaysse lui dit que, causant avec Pétion, ce dernier lui prédit le retour de Napoléon en France, sans doute en réfléchissant sur ce qui s’y passait, d’après le rapport des journaux.

    À cette occasion, M. Lepelletier de Saint-Rémy dit : « Mais on voulait tenter une seconde fois la conquête, et un armement se préparait à Toulon, lorsque la prédiction de Pétion s’accomplit, et que le débarquement de l’île d’Elbe vint ajourner tous les projets. » — Tome 2, p. 20.

  2. Cependant, si l’on s’en rapporte aux paroles prononcées à Sainte-Hélène, on peut croire que l’Empereur Napoléon était convaincu de la justice de l’abolition de la traite des noirs. Le 12 juin 1816, il dit, à propos d’Haïti, suivant le Mémorial de Las Cases :

    « Après la Restauration, le gouvernement français y avait envoyé des émissaires, et des propositions qui avaient fait rire les nègres. Pour moi, a mon retour de l’île d’Elbe, je me fusse accommodé avec eux : j’eusse reconnu leur indépendance…  »

    Et, après avoir avoué qu’il se reprochait l’expédition de 1802 :

    « Le système colonial que nous avons vu est fini pour nous ; il l’est pour tout le continent de l’Europe. Nous devons y renoncer et nous rabattre désormais sur la libre navigation des mers et l’entière liberté d’un échange universel. »

    En 1815, D. Lavaysse écrivit une lettre à Pétion, où il prétendit qu’il avait eu l’honneur d’être présenté à Napoléon, aux Tuileries, et qu’il lui fit les plus grands éloges du président et du peuple haïtien. Il rapporta des paroles prononcées par l’Empereur, après son