Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

informés du projet perfide du général Yayou de venir chez moi, cette nuit même, pour m’assassiner, s’emparer de l’esprit du soldat et livrer la ville à l’ennemi qui s’était déjà rendu, sous la conduite de Pierre Toussaint, jusqu’au Boucassin.[1]. Les officiers généraux et autres chefs supérieurs de l’armée se rendirent au gouvernement, et le général Yayou n’y parut point. Il se transporta au poste Léogane, où était la 21e demi-brigade. Il envoya ordre à la 24e, qui était postée derrière le gouvernement et aux casernes, de se joindre à lui ; mais cette demi-brigade s’y refusa. Alors Yayou fit faire le roulement et sortit hors de l’enceinte de la ville avec la 21e. Aussitôt que j’en fus informé, j’envoyai à sa poursuite les 3e et 11e demi-brigades, mais il avait eu le temps de se rendre à Léogane avant nos troupes. Ce général s’était permis de tenir des propos injurieux sur le gouvernement, sur le sénat, et particulièrement sur moi, pendant son séjour en ville. Chervain, J.-Ch. Cadet, Sanglaou, Romain, Jourdain et Madame Germain l’avaient suivi[2].

Lorsque la 21e eut appris les desseins de Yayou, de porter les armes contre moi, elle en montra de l’horreur et de la répugnance, et le quitta entièrement[3]. Il fut contraint, se voyant abandonné de sa troupe, de s’acheminer vers Jacmel, avec ses affidés ci-dessus dénommés. Le lendemain 24, je me transportai à Léogane où le général Magloire vint me joindre, d’après l’invitation que je lui en avais faite. Ce général me répondit de Yayou et se chargea de le ramener : ses soins ont été superflus[4]. Yayou, après s’être débarrassé de sa suite, a gagné les bois afin de s’y former des partisans ; mais j’ai envoyé à sa poursuite des détachemens sur tous les passages par où il peut se rendre à l’ennemi. Je ne désespère pas qu’avant peu il ne tombe entre mes mains. Jean-Charles Cadet a été arrêté dans la plaine du Cul-de-Sac : il cherchait à pénétrer à l’Ar--

  1. Qu’on ne s’étonne pas de cette initiative des soldats, pour faire battre la générale ; ils ne furent jamais dévoués à aucun chef comme à Pétion : d’autres faits seront encore mentionnés à cet égard.
  2. La veuve de Germain, par esprit de vengeance, n’avait pas tardé à se donner à Yayou dans ce dessein : elle exerçait sur lui une puissante influence, par son caractère impérieux.
  3. L’adjudant-général Marion abandonna Léogane, à l’arrivée de Yayou, et se rendit à Jacmel où il trouva un asile chez le capitaine Michel, son ancien ami de la Légion de l’Ouest. Il avait dû fuir devant cette conspiration flagrante.
  4. Magloire Ambroise avait des relations intimes avec une sœur de Yayou : de là son espoir de le ramener. À son tour, il fut égaré principalement par cette femme.