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Depuis sa sortie du fort de Joux, André Rigaud était à Agen, loin de la mer, et placé sous la surveillance de la haute police : comment a-t-il pu quitter sa famille à Agen, pour aller s’embarquer et passer aux États-Unis ?[1] Pourquoi, quelques mois après, sa femme et ses enfans en bas âge ont-ils pu partir de France, aller aussi aux États-Unis et delà se rendre en Haïti, dans le port de Jacmel ?

Ces questions sont très-importantes au point de vue de la vérité historique, et à celui de la moralité des faits d’après lesquels on devra juger Rigaud et Pétion.

Il faut n’avoir aucune idée de la manière dont se fait la police dans les États européens, pour croire que Rigaud aura pu s’enfuir d’Agen, avoir le temps de se rendre dans un port de mer, et là, lui mulâtre au teint brun, s’embarquer facilement, sans que la police l’eût su, eût éventé cette fuite, sans courir après lui, sans faire jouer le télégraphe pour l’arrêter. Ensuite, on voit sa femme et ses enfans partir quelque temps après, bien certainement avec la permission des autorités, probablement sur la connaissance acquise de l’arrivée de Rigaud en Haïti.

Aussi, les Anglais, toujours assez bien informés, ne tardèrent-ils pas à donner avis à Pétion, que l’ancien général du Sud, qui leur fut constamment antipathique, n’y était revenu qu’avec l’autorisation du gouvernement français, et en quelque sorte comme son agent. Et voici comment ils le surent, assure-t-on.

  1. On se rappelle sans doute que Rigaud obtint son élargissement du fort de Joux, par la protection de Louis Bonaparte, devenu ensuite roi de Hollande. À Agen se trouvait aussi la famille de Toussaint Louverture, également placée sous la surveillance de la haute police. On a dit que Rigaud s’embarqua à Bayonne, sur le même navire qui le porta aux Cayes, et qui appartenait à un Français nommé Servan, naturalisé citoyen des États-Unis et habitant New-York. Servan vint effectivement avec lui aux Cayes. Dans un second voyage, il eut le malheur d’être capturé par la flotte du Nord, et il périt par ordre de Christophe.