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judiciaire étaient moins des juges, que les exécuteurs de la volonté du tyran Placés entre l’équité et les décisions bizarres de cet empereur inconcevable, les juges ne purent jamais suivre le sentiment victorieux de la conscience. Dessalines était la loi suprême, et jamais sa bouche criminelle ne s’ouvrit que pour faire couler le sang ou les larmes des familles, dont il extorquait les propriétés. Les citoyens, sans cesse opprimés, végétaient dans l’état du plus dur esclavage.

Sénateurs, chargés de donner des lois à vos concitoyens, vous devez les établir de manière à couvrir la liberté publique ; et c’est en maintenant la séparation des pouvoirs, que vous ferez triompher les droits du peuple.

Les tribunaux formant l’intermédiaire entre le corps législatif et le pouvoir exécutif, doivent être au-dessus de toute influence. La loi et l’équité, voilà leur boussole ; mais les juges doivent être éclairés et impartiaux ; procédant toujours dans l’intimité d’une conscience timorée, toujours ils doivent avoir la balance de Thémis à la main : ni le rang, ni la fortune ne doivent faire incliner son aiguille. C’est donc de la composition des tribunaux que va dépendre le repos des familles et l’ordre public. La veuve et l’orphelin, le riche comme l’infortuné, les petits et les grands, tous doivent jouir de la protection impartiale des lois : en un mot, les juges doivent être impassibles comme la loi elle-même.

Mais, dans un pays où malheureusement les lumières ne sont point généralement répandues, où les passions humaines sont souvent substituées à la raison, où enfin le despotisme, trop longtemps impuni, semble y avoir fixé son empire ; dans un tel climat, l’homme est souvent exposé à être entraîné hors des limites de la justice éternelle. Bien pénétré de cette déplorable vérité, consacrée par une cruelle expérience, le sénat, dans sa sagesse, doit placer à la tête des tribunaux un grand fonctionnaire, chargé de leur police ; il sera le centre commun où aboutiront toutes les questions et les points douteux, quand les juges se trouveront embarrassés dans l’administration de la justice ; il expliquera les lois dont le sens ne serait point assez intelligible ; il maintiendra l’harmonie entre les juges, et les rappellera à leurs devoirs, s’ils s’en écartaient ; mais, dans aucun cas, il ne pourra les influencer dans leurs fonctions.

Sans doute, les représentans du peuple ne feront aucune blessure à la constitution, en instituant un Grand Juge pour la Républi-