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de relater, pour faire juger de l’injustice, nous pourrions même dire du ridicule de ce reproche de Gérin ; car il est vrai qu’il le fit. Examinons la situation où la guerre civile plaça le pays, afin de bien apprécier les idées et les vues de ces deux généraux, influens sur les destinées de la jeune République d’Haïti.

Les deux anciens partis politiques qui étaient entrés en lutte en 1799, — ceux de Toussaint Louverture et de Rigaud, — qui avaient opéré leur réconciliation, leur fusion, en 1802, pour rendre le pays indépendant de la France, ces deux partis se relevaient debout avec leurs principes opposés, dans leurs personnifications nouvelles, — Christophe et Pétion.

Le résultat désastreux de la première guerre civile avait fait passer toute l’ancienne colonie sous le niveau d’un despotisme sanguinaire ; peu après survint le régime non moins atroce de 1802 et 1803 ; celui-ci fut remplacé par une administration dictatoriale tellement injuste et vexatoire, qu’il fallut en venir à briser son joug dans le sang. En 1807, la nouvelle guerre civile éclata, parce que Christophe voulait la reconstituer et que Pétion, revenant aux idées et aux principes de Rigaud, son ancien chef, voulait enfin leur réalisation sur ce sol si déplorablement ensanglanté.

Certainement, s’il avait été possible d’abattre Christophe d’un seul coup, Pétion eût dû le faire, dans l’intérêt même des populations qu’il égarait, comme l’avait fait son ancien chef, Toussaint Louverture ; mais il y avait une très-grande différence entre exprimer un tel désir, un tel vœu, et l’accomplir. Revenir sur les considérations qui appuient cette assertion, serait, de notre part, un manque de confiance dans la sagacité du lecteur.