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Un paragraphe de la proclamation du 1er janvier, relatif à l’exclusion des Français de la nouvelle société, était complètement justifiable, non-seulement par la raison d’État, mais par les raisons données le 13 mai 1791, à la tribune de l’assemblée constituante, par le célèbre abbé Maury ; on se rappelle que cet orateur, confondant ensemble les hommes de couleur libres et les noirs esclaves, avait dit d’eux tous : — « que les nègres et les mulâtres ne sont pas, quoi qu’on en dise, de véritables Français, puisqu’ils n’ont pas même vu la France ; qu’ils sont des insulaires dont l’Afrique est la véritable patrie, des indigènes étrangers à la nation française, des hommes qui ne lui sont unis par aucun nœud, ni par l’habitude du climat, ni par les liens du sang, ni par les relations du patriotisme. » Et l’assemblée constituante avait basé sa décision de cette époque sur ces considérations politiques. Eh bien ! le général en chef des indigènes d’Haïti répétait avec justesse les mêmes considérations, pour motiver l’exclusion des Français et de tous autres blancs de son pays. Peut-on adresser aucun reproche à sa mémoire, non plus qu’au peuple haïtien, pour avoir persévéré dans ces idées ? Lorsqu’on leur avait tracé en premier l’exemple d’une exclusion fondée sur des préjugés absurdes, avaient-ils tort de maintenir leurs justes préventions ?

La conséquence nécessaire, inévitable de cette exclusion et des représailles qui furent exercées en 1804, était la confiscation des biens des colons au profit de l’État d’Haïti. Par la conquête, il était substitué à tous les droits de souveraineté dont l’ancienne métropole avait joui ; tout ce qui était du domaine public lui échéait également : il est clair que les propriétés privées, devenant vacantes,