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miers, en même temps que Roumage aîné, député du Cap et directeur des domaines, lui fit une confidence importante. Déjà, au Cap même, Roumage avait averti Bonnet, que Christophe allait faire tendre une embuscade au Camp-Coq, entre Limbe et Plaisance, pour le faire assassiner avec les autres membres de la députation : ce qui avait nécessité le prompt départ de Bonnet du Cap[1].

Roumage fit donc savoir à Pétion, que la constitution que voulait Christophe, était toute faite ; qu’elle avait été rédigée par Rouanez jeune d’après ses ordres ; que tous les députés du Nord et de l’Artibonite avaient reçu l’injonction de la proposer et de la voter : ce qui eût été facile, puisqu’ils seraient en majorité dans l’assemblée. Roumage se dévoua ainsi à une mort honorable[2].

Il fut tout aussi facile à Pétion de s’assurer, par d’autres députés, de la véracité d’une information qui importait tant à la nation. L’estime générale dont il jouissait dans toutes les parties du pays, l’accueil bienveillant et distingué qu’il avait fait à ces concitoyens du Nord et de l’Artibonite, lui firent obtenir cet aveu. Il était évident que sa réponse à l’officier, transmise à Christophe, avait motivé cette adroite manœuvre de sa part. Pour arriver à ses fins, le chef provisoire du gouvernement n’avait pas reculé devant la violation de la liberté du vote ; et cependant, il allait garder un semblant de légalité dans l’œuvre constitutionnelle. Dans une telle occurence, fallait-il laisser à Christophe la faculté de miner les libertés publiques, au profit du hideux despotisme qu’il développa dans la suite ? Pétion était trop bon ingénieur politique,

  1. Hist. d’Haïti, t. 3. p. 348.
  2. Roumage aîné avait adopté aussi les principes de la constitution de 1806. Il mourut par ces deux motifs.