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Votre seconde lettre, relativement à la mission du général Dartiguenave que j’ai envoyé dans le Sud, m’étonne aussi. Je ne pouvais m’attendre, Monsieur le général, qu’un officier envoyé par le gouvernement, pût éprouver aucune difficulté à remplir la mission qui lui était confiée, ni faire perdre au gouvernement la confiance du peuple, faire naître la défiance, détruire l’harmonie, et retarder les progrès du bien. Je désirerais savoir, et c’est ce dont vous ne m’avez pas instruit, comment la mission du général Dartiguenave peut paraître au général Gérin, un dessein formé d’avilir son autorité aux yeux de ces hommes qui se sont volontairement rangés sous son commandement.

Le général Gérin, en se mettant le premier à la tête de ceux qui ont contribué au renversement du gouvernement précédent, pouvait-il prétendre à la propriété des divisions du Sud ? Espérait-il que ce serait le prix de ses services ?

Le général Gérin, d’après ce qu’il m’a écrit, est bien loin de penser comme vous me le donnez à entendre, il se plaint à moi des intrigues qu’ont employées les factieux pour troubler l’ordre, des peines qu’il a eues pour réprimer l’ambition des places et la cupidité dans les deux divisions du Sud. Et plût à Dieu qu’il pût y parvenir ! Je désire de tout mon cœur qu’il déjoue ces gens à partis qui poursuivent les grades et la fortune, et contre lesquels ce général est obligé d’employer des voies de rigueur pour les réprimer.

Je ne puis m’empêcher de vous avouer que je découvre de plus en plus, Monsieur le général, le fil de toutes les trames, de toutes les menées qui ont lieu dans l’Ouest et le Sud. Je n’ai jamais su tergiverser, j’aime qu’on me parle ouvertement, et qu’on s’explique catégoriquement ; si vous n’avez pas toujours réfléchi en m’écrivant vos lettres, je n’ai jamais manqué de le faire en les recevant.

Les esprits sont tendus, dites-vous, vers la constitution. Je l’attends aussi avec la plus grande impatience : j’espère qu’elle ne sera pas uniquement consacrée à favoriser les intrigans, et à leur donner les moyens d’alimenter leurs passions. Le bonheur de nos concitoyens sera toujours le but de toutes mes mesures, et ma gloire la plus chère ; mais je ne ferai jamais consister cette gloire à favoriser les factieux et à contribuer à leurs desseins.

j’ai l’honneur de vous saluer.
Signé : Henry Christophe.