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ment la confiance du peuple ; alors l’harmonie serait détruite, la défiance renaîtrait, et le progrès du bien serait retardé dans sa marche. Pesez, dans votre sagesse, mon général, toutes les raisons que je viens de vous déduire, et je suis persuadé que vous les approuverez. Votre propre gloire exige impérieusement que vous fassiez le bonheur de vos concitoyens, et vous manqueriez ce but qui doit vous immortaliser.

J’ai l’honneur de vous saluer respectueusement.
Signé : Pétion.

Si cette lettre ne manquait pas d’habileté, elle disait néanmoins des choses sérieuses à Christophe, des vérités dont il devait se pénétrer pour bien gouverner le pays, des conseils utiles, enfin, pour faire le bonheur du peuple ; car, en définitive, c’était là la chose essentielle. Et en quoi consiste donc la véritable habileté, sinon à découvrir les moyens de réussir dans une œuvre aussi glorieuse ? Des intrigans astucieux peuvent souvent réussir dans leurs desseins, en employant des supercheries ; mais leurs succès sont toujours entachés des vues de leur personnalité, de leur égoïsme : ils auront été adroits, ils ne seront jamais considérés habiles, par les hommes qui ont le sens moral.

Il est évident que Pétion désirait éviter un conflit entre Gérin et Dartiguenave, et même entre cet officier du Sud et ses autres camarades. D’après la connaissance qu’il avait du caractère de chacun, de celui de Gérin en particulier, de la situation de ce département, il pouvait craindre que Dartiguenave, en voulant user des pouvoirs extraordinaires qu’il avait reçus, aurait été victime de son zèle dans ces momens de sérieuse agitation, que sa présence eût encore augmentée[1]. Pensant ainsi, indépen-

  1. « Quand Dartiguenave arriva au Port-au-Prince porteur de telles instructions, il fut accueilli avec indignation. Comme représentant du chef du